A quelques jours de l’annonce des sentences contre les neufs dirigeants politiques et associatifs indépendantistes catalans en prison préventive depuis l’automne 2017 et deux ans après le référendum du 1er octobre 2017, les autorités espagnoles ont lancé une opération de criminalisation de l’indépendantisme et de démobilisation des manifestants catalans
Le 23 septembre 2019, neuf activistes catalans ont été arrêtés par la police espagnole, accusés de terrorisme et de rébellion. Le 26 septembre 2019, sept des accusés ont été placés en prison préventive sans caution. L’ordre de cette opération a été donné par l’Audiencia Nacional de Madrid, héritière directe du Tribunal de orden público franquiste (Tribunal d’ordre public).
Ces neuf personnes n’ont commis aucun délit. L’accusation invoque une possible intention de commettre des actes de sabotages alors que leur seul crime est de défendre le droit à l’autodétermination du peuple catalan. En outre, sauf pour deux d’entre eux, l’accès aux domiciles et leur perquisition ainsi que la détention des accusés ont eu lieu hors de la présence de leurs avocats. Par ailleurs, ces derniers, tout comme l’Ordre des avocats sont restés 48 heures sans recevoir la moindre communication concernant les délits réels pour lesquels ils étaient poursuivis.
Les avocats de deux des accusés ont été remplacés par un avocat commis d’office désigné par l’État sans que les accusés aient pu exprimer leur volonté. Ces derniers ont été interrogés sans interruption pendant sept et huit heures respectivement durant les premières heures du 24 au 25 septembre, sans respecter le temps minimum légal de repos. Des détails sur l’instruction, auxquels leurs avocats n’avaient pas accès, ont filtré vers les médias espagnols dans l’intention de donner une première image négative des détenus. La présomption d’innocence n’a pas non plus été respectée. L’ensemble de ces faits constitue une violation flagrante des droits des détenus à être défendus.
Cette violation des droits des détenus à être défendus est l’un des visages de la tentative d’intimidation et de criminalisation du mouvement indépendantiste au seuil du second anniversaire du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 qui coïncide avec les jours précédant la communication des sentences contre les neuf dirigeants politiques catalans en prison préventive depuis deux ans. Ils seront très probablement condamnés à des peines de plusieurs années de prison pour avoir respecté la volonté du peuple catalan en convoquant des actes de protestation pacifiques et en exerçant leur droit de convoquer un référendum sur la question de l’indépendance de la Catalogne.
Comme lors de nombreux cas d’application de la loi anti-terroriste, il ne semble pas exister d’indices flagrants prouvant que les détenus aient été en train de planifier des actions violentes. L’État espagnol continue donc d’user du droit pénal pour faire pression sur le peuple catalan afin qu’il cesse de manifester ses opinions politiques et d’exercer son droit de manifestation.
En avril 2018, le rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression des Nations unies a invité les autorités espagnoles à s’abstenir de poursuivre l’accusation pénale de rébellion contre les politiques et les manifestants catalans impliqués dans le référendum d’indépendance. Au début de 2019, le rapporteur spécial sur les questions des minorités de l’ONU avait affirmé que « la dissidence politique non violente des minorités ne devrait pas donner lieu à des accusations pénales » en rejoignant « la préoccupation » du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression.
Concernant ces mises en garde, en juin dernier, dans le cadre de son enquête sur le procès des dirigeants indépendantistes catalans, le Groupe de travail des Nations unie sur les détentions arbitraires a déclaré que « l’objectif de l’accusation pénale et du procès qui en avait découlé avait été de restreindre les opinions politiques que ceux-ci avaient exprimées » et il a demandé au gouvernement espagnol leur mise en liberté immédiate.
L’utilisation indue de la loi anti-terroriste et d’autres délits graves a pour but d’inquiéter la participation des citoyens à la vie politique. En conséquence, de nombreux Catalans craignent chaque fois davantage de participer à des activités politiques.
La détérioration des droits civils et politiques dans un état membre de l’Union Européenne est un fait qui porte atteinte à toute légitimité du projet d’intégration européenne puisqu’il s’oppose directement à l’un de ses principes fondamentaux : le respect de la démocratie et des droits fondamentaux. Il constitue, en conséquence, un précédent dangereux pour chaque citoyen européen.
La situation dans l’État espagnol et l’inaction des institutions européennes altèrent la crédibilité de l’Union européenne en tant que projet démocratique et, par conséquent, sa capacité à avoir une influence au-delà de ses frontières.
Assemblea Nacional Catalana
Barcelone, le 30 septembre 2019